mardi 3 juin 2008

Campagne antichrétiene: stratégie, objectif et finalité (*)

Une fois n'est pas coutume, je commencerai cette chronique par une anecdote toute fraîche. De passage chez le coiffeur du coin ce matin, j'ai dû suivre, comme d'habitude, une interminable discussion sur le foot animée par des jeunes qui paraissaient baigner dans une insouciance qu'on ne peut leur reprocher. Après tout, la jeunesse n'est-elle pas l'âge de l'insouciance? Surprise, pourtant. Et plutôt bonne surprise: l'un des jeunôts, le crâne rasé comme un vrai skinhead, un journal à la main, change de sujet sans préavis ni transition. Usant d'un langage que je ne peux reproduire ici, il lâche:"(...) Tu ne comprends rien à ce pays, ils ont attrapé deux chrétiens et apparemment ils vont les faire trinquer, cela ne se passe nulle part ailleurs, même pas en Arabie Séoudite(...)" Eloquent! Il est vrai que cela ne vaut pas un sondage d'opinion, mais les mots de ce jeune Algérois auraient pu être ceux d'un autre, d'Oran, de Constantine, de Ghardaia ou d'ailleurs. Car ils expriment sans aucun doute, de manière triviale certes, l'avis le mieux partagé au sein la société algérienne quant à la guerre menée ces derniers mois, de façon de plus en plus ouverte, contre la minorité chrétienne en Algérie. C'est dire toute la largeur du fossé qui sépare les initiateurs de cette campagne contre une prétendue évangélisation en cours dans le pays de l'écrasante majorité de la population au demeurant musulmane. Celle-ci, sauf à la confondre avec les illuminés qui ont pris l'habitude de parler en son nom sans la consulter, n'adhère pas à cette chasse aux fidèles du Christ. Autrement dit, les attaques subies par la minorité chrétienne en Algérie sont le fait du pouvoir et de lui seul. La société, quant à elle, ne les tolère pas ou, tout au moins, ne les comprend pas. Mais il est vrai que l'absence de canaux d'expression à même de permettre à la société de dire son rejet de l'action du pouvoir fait la part belle à toutes les extravagances officielles. Il est en effet difficile de comprendre ou de soutenir la montée de cette nouvelle forme de xénophobie même si ses tenants ont pris le soin de la parer des couleurs de la religion et même s'ils ont, en même temps, pris la précaution formelle de la "légaliser" en agissant au nom d'une "loi civile" promulguée en 2006... pour les besoins de la cause. Une loi passée inaperçue mais qui aurait pu être un grand sujet de polémique tant elle contredit, selon des spécialistes du droit constitutionnel, l'esprit de la Loi fondamentale algérienne qui garantit la liberté de culte et qui, contrairement à ladite loi, ne distingue aucunement entre les religions. En l'absence de toute explication convaincante, certains peuvent penser que cette offensive antichrétienne est une réaction après les dérapages enregistrés en Occident et notamment aux Etats-unis d'Amérique, depuis les attentats du 11 septembre. Cela relève de la pure supercherie: les restrictions imposées aux Musulmans en Amérique ou dans certains pays d'Europe, même si elles sont souvent draconiennes et quelquefois inacceptables, voire humiliantes, ne concernent pas la pratique du culte. Elles ne limitent pas la liberté de prier ou de prêcher, ni même celle de construire des mosquées. Au demeurant, s'il s'agissait "seulement de répliquer" à ces restrictions, on ne peut expliquer que l'Algérie soit le seul et unique pays en terre d'Islam à mobiliser ainsi ses services de sécurité, ses tribunaux et, en définitive, ses intitutions dans ce qu'il convient d'appeler une campagne de persécussion contre les pratiquants de "cultes non musulmans", un concept que n'évoque aucune disposition de la Constitution du pays. La surveillance policière dont sont l'objet les Musulmans aux Etats-unis, aurait plutôt induit des ripostes de la part de factions chiites et djihadistes en Irak, un pays en guerre où les cibles chrétiennes ne manquent pas, plutôt qu'en Algérie. Mais non, notre pays prend tout le monde de vitesse. Jusqu'à faire rougir Ben Laden lui-même. Une certitude: un pouvoir qui engage les institutions du pays dans cette "guerre du Croissant contre la Croix" quitte à en assumer la paternité et les conséquences escompte forcément quelques dividendes politiques en retour. Lesquels? "Le Coran est la constitution de la société algérienne", a dit le chef du gouvernement il y a moins d'une semaine, quasiment au moment même où s'ouvrait le procès de Habiba K, une Algérienne accusée de "pratiquer un culte non musuman sans autorisation". Observée à la lumière d'une telle déclaration, mais aussi d'autres propos non moins éloquents de gens du pouvoir, la campagne "anti-évangélisation" en cours semble procéder d'une stratégie d'ensemble, mise en branle depuis quelques années déjà, mais plus visible à présent que le temps presse; une stratégie dont l'objectif est enfin avoué: la mise en oeuvre sournoise du projet islamiste. Un objectif censé, à son tour, servir d'escabeau pour atteindre une finalité: en finir avec les repères qui fondent la modernité et par conséquent, disqualifier les modes universels de maintien ou d'accès au pouvoir. En un mot, fouler aux pieds le statut républicain de l'Etat et lui substituer un archaisme bâti sur la primauté de la religion. Une version soft de l'Etat théocratique, en somme. Le pari parait fou, mais dans un pays comme le nôtre dont les ressorts de la résistance sont fragilisés et dont une grande partie de l'énorme manne financière est versée dans les circuits occultes de la corruption, il ne faut jurer de rien. A moins d'une vigilance à toute épreuve.
Said Chekri
(*) Cet article est également disponible sur le site du RCD

samedi 24 mai 2008

19 mai: courage d'antan, perversion d'aujourd'hui(*)

Ils étaient jeunes, ils avaient la fougue et la beauté de la jeunesse. Ils portaient, comme en bandoulière, des rêves fabuleux. Ils nourrissaient de grandes et belles ambitions, celles que leur qualité d'étudiant ou de lycéen pouvait leur permettre de réaliser: un statut social enviable, une situation matérielle confortable et, pour certains, une carrière professionnelle brillante, voire une reconnaissance universelle à leurs travaux. Oui, les jeunes étudiants algériens des années 50 avaient tout cela à portée de main. Ils ont pourtant refusé de s'en saisir et préféré tout lâcher, tout abandonner. L'appel du combat pour la liberté et l'émancipation nationale a été plus fort, beaucoup plus fort que la tentation égoïste d'une vie paisible à l'ombre d'une fonction grassement rémunérée. Mais, on l'imagine, le choix qu'ils ont fait à leur corps défendant et au détriment de leur tranquillité immédiate et au mépris de leur bien-être futur, ne devait pas être des plus faciles: il fallait en effet être animé d'une ferveur patriotique exceptionnelle et d'un courage physique et moral exemplaire pour ainsi renoncer à la facilité et s'engager dans une voie jonchée de périls, une voie à l'issue incertaine. Le choix fut donc difficile mais le temps aura montré qu'il était juste. Leur engagement dans la lutte pour la libération du pays a été déterminant quant à l'issue finale. Un demi-siècle après cet acte d'éclat qui restera un des repères majeurs de notre Histoire contemporaine et donc un moment de référence pour la génération actuelle, se pose la question de savoir ce qu'il est advenu de ce patriotisme et de cette disponibilité au don de soi. Les faits sont têtus: par leur silence constant et leur démission permanente, les intellectuels algériens d'aujourd'hui n'ont pas fait bon usage de l'héritage légué par leurs ainés. Pis encore, ils l'ont quelquefois perverti en mettant un incroyable zèle à pourfendre ceux qui ont l'audace de porter sur la place publique des thèmes qui fâchent les tenants des dogmes qui, souvent, se confondent avec les tenants du régime. A voir les attaques soutenues qui viennent de cibler l'écrivain Boualem Sansal, une figure incontournable de la littérature algérienne moderne suite à la publication de son dernier roman "Le village de l'Allemand ", on en vient à s'interroger sur les motivations d'un tel lynchage. Le tort de cet homme de lettres? Il a osé une comparaison, au demeurant opportune, entre l'islamisme et le nazisme auxquels il trouve des dénominateurs communs. Mais qu'on ne s'y trompe pas: les critiques les plus acerbes, pour ne pas dire les insultes auxquelles il a eu droit ne sont pas venues de figures islamistes connues comme telles mais plutôt de gens qui, en d'autres occasions, se sont fait les chantres de la modernité! En revanche, pas une voix ne s'est élevée pour dénoncer la persécution dont sont victimes les minorités chrétiennes en Algérie, pas même pour mettre en évidence les dégâts que cela ne manquera pas de causer à l'image du pays déjà sérieusement écornée. Aucune comparaison n'est pourtant possible entre les énormes dangers qui pesaient sur la vie de nos intellectuels d'hier face à la puissance coloniale et à ses abus et ceux, réels il est vrai mais moindres à coup sûr, que suppose aujourd'hui l'opposition aux thèses des puissants du moment ou aux préjugés et pesanteurs sociologiques. Qui plus est, le rôle de l'intelligentsia, qui consiste entre autres à assumer un devoir critique envers les idéologies dominantes ou encore les catégories qui les portent, doit rester le sien en toutes circonstances, et plus encore dans les situations les plus inconfortables. Bien évidemment, le délabrement de l'université algérienne, et plus généralement celui de l'école, un des hauts faits d'armes du système en place depuis 1962, est passé par là. Mais si la démission des clercs peut se justifier par leur peur des représailles, un sentiment au demeurant pas toujours contrôlable et donc compréhensible, leur trahison est souvent le fait de tentations bassement matérielles, celles-là mêmes qui n'ont pas eu raison de nos aînés. En définitive, l'on est autorisé à affirmer que 50 ans de règne ont permis au système de vider la société de sa substance patriotique. Or, celle-ci n'est pas seulement le carburant des luttes pour l'intérêt général ou encore le bien commun. Elle est aussi un antidote contre l'individualisme égoïste et donc contre la cupidité, l'appât du gain et la tentation du bien-être sans effort. Nous voilà aux confins d'un fléau à part entière qui ruine le pays et qui n'épargne pas les intellectuels, la corruption. Et ceci explique cela.
Said Chekri
(*)Article publié sur le site du RCD

mercredi 14 mai 2008

Faut-il interdire à Bouteflika de rencontrer les chefs d'Etats étrangers?

C'est à peine croyable mais la chose est tout à fait vraisemblable: on vient d'apprendre qu' en novembre dernier, le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, s'est fait complaisant, comme jamais on aurait pu l'imaginer, devant Nicolas Sarkozy alors en visite à Alger. Certes, les Algériens savent que leur président, contrairement à Zeroual qui ne s'aplatissait pas devant Chirac, est prêt à composer, à lacher du lest et à donner sans compter pour s'assurer du soutien des puissances étrangères, surtout depuis qu'il rêve d'un troisième mandat. Mais le propos qu'il a tenu à l'adresse du chef de l'Etat français laisse pour le moins perplexe. Lorsque Sarkozy lui fit part de son projet dit Union pour la méditerranée, Bouteflika lui aurait répondu: "je suis votre soldat." Ces mots, censés demeurer secrets à jamais, ont été éventés par Michel Rocard, ancien Premier ministre français, actuellement membre du Parlement européen, après une entrevue avec Sarkozy au palais de l'Elysée. A ceux qui vont en douter, il faut peut-être rappeler que le président français s'était déjà exprimé publiquement sur l'accueil que le chef de l'Etat algérien avait réservé à sa proposition. "Je crois que le président Bouteflika est devenu un ardent ambassadeur de l'Union méditerranéenne", avait-il déclaré. A ceux qui vont continuer de douter, on peut encore rappeler que ces mots font partie du vocabulaire habituel de Bouteflika. Voici une anecdote rapportée en off par Chadli Bendjedid à un journaliste algérien: à l'issue d'une réunion du Comité central du FLN en 1979, sachant que ses jours dans les rouages du pouvoir étaient comptés, Bouteflika courut voir Chadli et, accompagnant son propos d'un salut militaire réglementaire, lui dit:"je suis avec vous, M. le président. Considérez-moi comme votre caporal, nous sommes tous vos caporaux."
Caporal face à Chadli et soldat face à Sarkozy, voilà qui ne plairait pas à Chadli, mais passons. De toutes façons, Bouteflika est désormais revenu de son "autocaporalisation" puisque, 20 ans plus tard, il qualifiera Chadli ainsi que tous les anciens chefs de d'Etat algériens de "présidents stagiaires."
Cette complaisance de Boutef face à Sarko n'empêchera pas Belkhadem, Zerhouni et Boukerzaza ni certains journalistes émargeant chez un clan quelque part à Ben Aknoun, de s'effaroucher, en mars 2008, soit quatre mois plus tard, de ce que des partis politiques ait eu des échanges avec certaines représentations diplomatiques accréditées à Alger. Quand le président de la République se déclare "soldat" d'une puissance étrangère, peut-on encore parler de souveraineté? Après cela, quelle souveraineté serait en péril du fait d'échanges entre des partis de l'opposition et des ambassadeurs étrangers?
Ne faut-il pas commencer par interdire à Bouteflika tout contact avec les chefs d'Etat étrangers?
Il est vrai que la Constitution dispose que la politique extérieure du pays est du ressort de président de la République, mais la question mérite d'être sérieusement étudiée d'autant que la preuve est faite que les intérêts de l'Algérie passent souvent pour "secondaires" devant les ambitions personnelles de notre chef de l'Etat. On sait, par exemple, que des marchés ont été octroyés à des entreprises françaises telles que Alsthom alors que leurs offres étaient nettement moins avantageuses que celles d'autres opérateurs.
Said Chekri

mardi 13 mai 2008

Le carton rouge et le feu vert (*)

Si, dès l’indépendance de l’Algérie, on avait consacré la démocratie, le pluralisme et l’alternance au pouvoir, on aurait fait l’économie de tant de violences. A commencer par celle que le régime avait opposée au combat, pourtant pacifique, initié dans la rue au printemps 1980. De n’avoir pas entendu l’appel de ce Printemps-là aura valu au pays le bain de sang d’octobre 1988. Au moins.
Si, en 1989, l’on avait mesuré le danger qu’il y avait à légaliser une nébuleuse fasciste en lui accordant le statut de parti politique dans le but avéré d’en faire un contrepoids aux démocrates, on n’aurait pas été contraint à arrêter un processus électoral, on n’aurait pas vécu le terrorisme des années 90 et l’Algérie ne serait pas devenue, dans les années 2000, un « pays d’accueil » pour Al-Qaida et un territoire hostile aux yeux des touristes et des investisseurs étrangers.
Si l’on avait su gérer les suites du coup d’arrêt de janvier 1992 en privilégiant l’idéal républicain qui, nous disait-on, l’avait inspiré, Boudiaf n’aurait pas été assassiné…Et si, et si…
L’Histoire de l’Algérie indépendante ressemble à celle de tant d’autres pays: c’est dans nos opulences du présent que sont semées les graines de nos famines à venir et c’est dans nos béatitudes du présent que se mettent en place, une à une, aidées par nos « inadvertances calculées » et nos ambitions futiles, les causes des bains de sang futurs.
Un jour viendra sans doute où sera dressé le bilan de ces entêtements répétés et jamais corrigés du régime et de ses clientèles. On leur donnera alors les noms qu’ils auront mérités : «forfaitures» ou encore «trahisons». Certainement pas «erreurs ».
Pour autant, le temps des «forfaitures» ou des «trahisons» n’est pas forcément derrière nous. Cette excitation autour de la révision de la Constitution et cette agitation autour de la succession à Bouteflika indiquent bien qu’il se prépare peut-être une nouvelle trahison et encore une forfaiture.
La trahison ? Elle consisterait à assurer Bouteflika de son maintien au pouvoir, via un amendement de la Constitution à la Syrienne. Faire fi du principe de l’alternance pacifique au pouvoir à présent que le baril de pétrole taquine les 120 dollars, cela peut tenter, mais cela reviendrait à préparer le carburant des violences de demain. Car, cette règle s’imposant désormais comme une exigence de notre époque, l’Algérie devra forcément y souscrire de nouveau si d’aventure on la sacrifiait aujourd’hui au nom des ambitions d’un clan. Le risque est grand que cela passe par l’affrontement violent.
La forfaiture ? Elle consisterait à faire «respecter la Constitution » afin de « débarquer » Bouteflika en toute légalité mais uniquement à cette fin. La suite ? La cooptation d’un successeur par les procédés traditionnels. C’est à ce second scénario que semblent appeler certaines voix. «A défaut de mieux », laissent-elles entendre toutefois, comme pour justifier leur choix qu’elles savent paradoxal tant ces mêmes voix s’élèvent aussi pour réclamer la fin du système. Paradoxal, en effet, car quand elles ajoutent que la mise à mort du système passe par le rejet de « ses élections », n’offrent-elles pas aux faiseurs de rois, sans doute par « inadvertance calculée », la latitude d’ « élire » un chef de l’Etat qui garantisse au système survie et pérennité ? Et lorsque ces voix affirment presque sans fard que l’Armée devrait exercer le pouvoir de débarquer éventuellement des présidents, ignorent-elles qu’un tel pouvoir implique qu’elle peut aussi en nommer par le recours à la cooptation via la fraude électorale? Dès lors qu’elle est priée de brandir le « carton rouge » à la face d’un président, l’Armée est qualifiée, de facto, à donner « le feu vert » au successeur qu’elle aura choisi ou, tout au moins, couvert de son onction. A l’exclusion de tout autre prétendant, quand bien même celui-ci aurait les faveurs du suffrage populaire. L’on est déjà loin du « respect de la Constitution », me semble-t-il. Encore une « inadvertance calculée » ? Sans doute.
Car enfin, c’est bien la fraude électorale et non les élections que la continuité du système requiert. Or, cela s’est vérifié en 2004, en 1999 et bien avant, le boycott, en rendant plus facile le bourrage des urnes, sert le système et ses hommes plutôt que leurs adversaires.
Alors oui, il faut rêver d’élections sans trucage et y œuvrer. Car, tout compte fait, quel sens ou quelle viabilité peut-on accorder à une alternance au pouvoir qui s’organiserait sans le respect de cet autre pilier de la démocratie, le suffrage universel ?
Oui, il faut rêver d’élections libres car bien des peuples, longuement captifs de systèmes politiques bâtis sur le triptyque fraude, répression, corruption s’en sont affranchis par la transparence des urnes.
Said Chekri
(*) Cet article a déjà été publié sur le site du RCD

Presse:désillusion des professionnels et illusion du pouvoir (*)

Il y a cinq jours(*), les journalistes algériens célébraient, à leur manière, la date du 3 mai, consacrée "journée mondiale de la liberté de la presse". A leur manière, en effet, car ils auront été les seuls de par le monde à avoir réduit leur programme d'activités ce jour là à l'organisation d'un ...tournoi de football. Il y eut certes une ou deux parodies de colloques et de conférences mais point d'engouement chez les professionnels. Si bien que c'est le tournoi de foot qui, au final, aura suscité le plus grand intérêt au sein de la plupart des journaux et qui aura donc marqué cette célébration de son empreinte. Pour la première fois depuis 1990, les actions d'initiative gouvernementale, notamment celles du département de la Communication, auront largement pris le pas sur celles des rédactions, du SNJ ou encore de la représentation de la FIJ. Ahmed Ouyahia lui-même, l'artisan en 2001 des amendements du Code pénal spécialement conçus pour étouffer toute velléité de libre écriture, s'est découvert, l'espace d'une journée, "grand défenseur" de la liberté de la presse, affirmant que la dépénalisation du délit de presse est inéluctable. Le même Ouyahia, jusque-là absolument et ouvertement réfractaire à toute idée d'ouverture de l'audiovisuel à la finance privée a juré que cela est tout aussi inéluctable . Ce 3 mai, les fossoyeurs de la liberté de la presse en Algérie auront eu la part belle. Face à eux, le vide. Quelquefois même de la complaisance, voire de la complicité, il faut bien le dire. Comment donc en est-on arrivé là? Depuis 2003/2004, le pouvoir a redoublé de férocité contre une corporation qui, bientôt, cessera de résister. C'est alors qu'on découvrit des faiblesses intrinsèques jusque là insoupçonnées. Des faiblesses qui vont mettre à nu leur corrolaire, cette incroyable prédisposition au reniement pur et simple lorsque s'imposaient, il faut l'admettre, des remises en question, sans plus. C'est à dire des révisions qui, si elles peuvent être quelquefois douloureuses, ne doivent pas s'accompagner de l'abandon de la vocation même de la presse, le droit d'informer sur la gestion de la cité ou encore de soumettre les politiques gouvernementales et l'action publique à l'éclairage et à la critique. Il n'aura donc pas fallu bien longtemps au pouvoir pour arriver à ses fins. Le second mandat de Bouteflika était à peine entamé que le paysage médiatique offrait déjà une allure défaite. Renoncement au ton critique, accompagné si nécessaire de remaniements internes, abandon de lignes éditoriales qui n'agréent pas les puissants du moment, généralisation de l'autocensure, marginalisation ou retrait des plumes génantes et, bien sûr, émergence de la médiocrité et éclosion d'opportunismes ravageurs. Le tout sur fond de désillusion. Voilà le fardeau porté aujourd'hui par la presse algérienne. Inutile de dire qu'il est trop lourd pour qu'elle puisse avancer. Pis, elle est ainsi condamnée à la régression permanente. Significative est d'ailleurs l'attitude bizarrement conciliante, "attendrissante" pour reprendre l'expression d'un confère, que le pouvoir se surprend à observer à l'égard de la corporation. C'est que ce pouvoir a compris qu'il ne convient pas d'utiliser un éléphant pour écraser une fourmi, comme le dit l'adage. Mais il a surtout compris qu'il est temps de concevoir de nouvelles relations avec la presse. Mieux, de concevoir la presse même. De la logique de répression et de pression contre la liberté de la presse on passe ainsi à la logique de rétribution et de prime à la complaisance. Le plus souvent par la manne publicitaire gérée par l'ANEP dont bénéficient désormais des journaux qui en étaient privés pendant 15 ans. Mais pas seulement cette manne-là. C'est à cette nouvelle logique qu'on doit aussi la multiplication, depuis quelque temps, de ces "embryons de groupe de presse" qui se mettent en place dans un pays où, en général, il est quasiment impossible d'obtenir un agrément pour lancer la moindre publication. De là à parier que les futurs médias audiovisuels seront "affectés" à ces mêmes groupes de presse, avec les gains financiers substantiels qu'ils ne manqueront pas de drainer, il n'y a qu'un pas que beaucoup parmi les observateurs ont déjà franchi. Le pouvoir, pour sa part, en tirera un double avantage. Primo: il mettra ainsi fin aux pressions politiques et commerciales émanant de l'extérieur du pays, notamment de l'UE et de l'OMC, quant à l'ouverture du secteur de l'audiovisuel. Deuxio: le contrôle politique des contenus que diffuseront les futures télés et radios privées sera assuré par des alliés qui auront déjà fait la preuve de leur "loyauté" dans la presse écrite. Mais on n'en est pas encore là. Car avant cela, la presse telle que reconfigurée est d'abord attendue quant aux missions qui lui sont assignées par qui de droit dans la perspective d'échéances plus proches, dont celle de 2009. Mais il semble que les "nouvelles missions" dont elle est chargée sont trop lourdes pour une presse qui a, chemin faisant, renoncé à préserver ce qu'elle avait d'essentiel, de vital: sa crédibilité. Peine perdue donc pour un pouvoir qui croit s'en sortir, suprême illusion, en transformant les titres de la presse écrite en autant d'ENTV. Pour autant, et on l'aura vérifié à l'occasion de la célébration algérienne de ce 3 mai, la régression a déjà si gravement délabré la corporation qu'il ne sera pas aisé de faire regagner à la presse nationale la place et l'aura qui étaient les siennes dans le monde arabe et en Afrique, il n'y a pas si longtemps. Encore plus ardues seront la bataille de la crédibilité et, partant, celle de la confiance du citoyen-lecteur qu'il va falloir reconquérir à nouveau.

Said Chekri
(*) Cet article a été publié le jeudi 8 mai 2008 sur le site du RCD

lundi 12 mai 2008

Tabou et Mugabe, même combat?

La presse nationale ne semble pas s'y intéresser particulièrement mais le débat, pourtant, vaut le détour: la surveillance internationale des élections serait-elle la solution pour empêcher la fraude de l'emporter encore une fois en 2009?
A cette interrogation, Karim tabou, le premier secrétaire du FFS, vient de répondre sans ambage. Pour lui, "l'exigence d'une surveillance internationale des élections est une façon déguisée de cautionner le système et de crédibiliser sa parodie électorale." Ainsi exprimée, la position du parti de Hocine Ait-Ahmed ne devrait surprendre personne. Elle tient de ce désir constant et immuable chez la direction de ce parti de s'opposer systématiquement aux propositions et initiatives émanant du RCD. En effet, M. Tabou ne s'encombre pas d'arguments pour rejeter l'idée d'une surveillance internationale des élections en Algérie. Aucune critique du mécanisme lui-même, aucun exemple de pays où un tel mécanisme se serait révélé vain, rien de tout cela. Ainsi, au lieu de débattre sereinement de la question ou de proposer éventuellement un autre "remède" contre la fraude, il se saisit simplement de la question pour construire une accusation de manière prompte, directe et expéditive: ceux qui appellent à une surveillance internationale des élections ne font que "flouer le peuple(...)", pour "cautionner le système et sa parodie électorale (...)" Il est vrai que Karim Tabou a conclu sa déclaration par une préconisation. "Il faut plutôt lever l'état d'urgence", conseille-t-il sans expliquer à son auditoire en quoi une telle mesure serait en contardiction avec une surveillance internationale des élections.
En dehors de la "position" du FFS ainsi formulée, aucune réaction partisane à la démarche du RCD n'est rendue publique à ce jour. La plupart attendent sans doute d'y voir plus clair avant de se prononcer. L'éventualité d'une révision de la Constitution, toujours d'actualité même si Bouteflika donne quelquefois l'impression de ne pas vraiment y tenir, est de nature à mettre nombre d'acteurs politiques dans l'ambarras pour certains, dans l'expectative pour d'autres. L'accueil que la classe politique réservera à la revendication du RCD sera en effet, dans une large mesure, fonction du sort final que connaîtra le souhait de Bouteflika de briguer un troisième mandat, donc de la révision ou non de la Constitution. C'est d'ailleurs l'un des mérites incontestables de cette initiative du RCD: elle se veut valide et applicable quels que soient les futurs candidats à l'élection présidentielle, c'est-à-dire avec ou sans Bouteflika dans la course.
Said Sadi poursuit donc en solo sa campagne en faveur d'une surveillance internationale des élections, convaincu que ce procédé qui a permis à d'autres pays d'en finir avec la fraude électorale et de se doter de pouvoirs politiques légitimes après des décennies de dictature doit être mis en oeuvre en Algérie.
A l'heure où le président du RCD sillonne les capitales européennes pour expliquer sa démarche, après en avoir fait de même en Amérique du nord, et quasiment en même temps que Karim Tabou l'accuse de vouloir "flouer le peuple", le président et néanmoins dictateur Robert Mugabe annonce son refus d'une surveillance internationale du second tour de la présidentielle au Zimbabwe, au risque de plonger le pays dans une spirale de violence comme celle vécue, début 2008, au Kenya. C'est sans doute qu'il ne veut sans doute pas "flouer le peuple", lui qui n'a autorisé la commission électorale de son pays à rendre publics les résultats du 1er tour que plus d'un mois après le vote, imposant ainsi à l'opposition un second tour frauduleux, alors qu'elle l'avait largement emporté dès la 1ère manche. Alors, Tabou et Mugabe, même combat? Voilà qui va sans doute encourager le pouvoir algérien à se joindre à eux. Car, comme Mugabe et comme Tabou, le pouvoir ne veut pas "flouer le peuple".
Said Chekri

dimanche 11 mai 2008

Pourquoi je crée un blog

Après avoir exercé dans plusieurs titres de la presse nationale comme journaliste, rédacteur en chef ou directeur de la rédaction, je découvre que j'ai peut-être pris goût à une certaine liberté d'écrire qui n'est plus de mise dans nos rédactions. L'autocensure étant désormais la règle, je découvre aussi que c'est là un sport que je ne maîtrise point. Alors, faut-il s'y mettre? Beaucoup parmi mes confrères ont décidé que oui. Je ne leur en veux pas même si j'estime que ce n'est pas l'attitude la plus honorable à adopter. Pour ma part, je ne me suis pas posé de question:l'exercice honnête de notre profession ne peut s'accomoder ni de censure ni d'autocensure, encore moins de complaisance à l'égard des puissants.
Je crée donc ce blog pour écrire, juste pour écrire, sans avoir à m'encombrer des préalables des lignes rouges, celles tracées par les services et surveillées par leurs suppôts parachutés.
A bientôt pour le premier article de ce blog.
Les lecteurs éventuels de cet espace qui se veut libre et autonome sont invités à m'adresser leurs commentaires, remarques et critiques sans complaisance ni retenue.
Said Chekri